Fatoumata, Sondong, Lionel et Sankar sont immigrés. Nous les avons croisés dans l’un des premiers RER B de la journée. Tous témoignent d’un quotidien difficile, marqué par les heures de transport et leur sens du dévouement.
L’ambiance est ouatée, presque secrète. Les usagers communient dans le petit matin noir. Des cernes trainent sous les yeux de certains, à peine réveillés, portés par l’échafaudage de nouvelles promesses. D’autres sont happés par la lumière bleue d’un smartphone. Il n’est que six heures quarante-cinq du matin et il est plutôt facile de trouver à s’asseoir dans le RER B… Nous y avons croisé quatre silhouettes, quatre immigrés habitués du RER, volontaires pour parler de leur quotidien au Parisien.
Fatoumata est une femme coquette. Elle a beau avoir travaillé la nuit durant, cette originaire du Mali est pimpante, les cheveux enroulés dans un turban à imprimés jaune et rouge, les lèvres ourlées d’un rouge brillant. Elle ne souhaite pas donner son âge – « je suis née en 1979 », se contente-t-elle de souffler – et, de bonne grâce, raconte son quotidien de travailleuse invisible. Chaque soir, à Villepinte, en Seine-Saint-Denis, elle part pour son travail sur les coups de onze heures. Elle s’engouffre d’abord dans le RER A, le RER B, puis le métro. A Charenton-le-Pont, elle s’arrête à la station Liberté. Chaque matin, vers sept heures, elle accomplit le chemin inverse : en tout, près de trois heures dans les transports.
Née à Bamako, au Mali, arrivée à Paris en 2013, elle travaille comme femme de ménage à la SNCF. A l’insu de tous, elle effectue des tâches essentielles. Quand elle retrouve Charenton-le-Pont et sa petite gare historique, tout, choses et gens, sommeille. Des dizaines de trains sont en repos. Une armée d’employés, « des hommes comme des femmes », s’affaire, huit heures durant, ramasse les déchets, passe l’aspirateur, lave les vitres, époussette les tablettes, récure les toilettes. Elle fait régner la propreté avant que déferlent les souliers vernis des passagers de la journée. Fatoumata a-t-elle ses papiers ? « Oui oui », elle opine, comme balayant la question d’un revers de main.
Sans papier
Sondong vit à Bagneux. Sur son visage rond et lisse, l’empreinte de la sérénité. Sa voix est douce. Il a 46 ans. Ce matin, exceptionnellement, ce résident de Bagneux est accompagné d’une amie camerounaise, de passage à Paris.
Tandis que son amie se concentre sur son smartphone, Sondong se livre avec bienveillance. « Je suis né au Cameroun, à Douala [la capitale économique du pays, NDLR] et je travaille comme homme de ménage. » Arrivé en France il y a dix ans, il fait l’expérience de conditions de travail très difficiles : « Je fais entre quatre et cinq heures de transport et je me lève vers 5 h, 5 heures 30. A 6 h 10 maximum, je suis dans le RER. »
Sondong dit qu’il n’a pas à se plaindre et qu’il est « très content d’être venu en France ». Pourtant, après quasi dix ans de travail, il n’a toujours pas ses papiers. Il demeure optimiste : « J’espère les avoir en 2024. »
Du Cap-Vert à Aulnay-sous-Bois
Dans un autre wagon, un homme brun et de belle carrure, figé sur son siège, regarde dans le vide. Lionel est un jeune père de famille de 38 ans, à l’air un peu fatigué. Il est originaire du Cap-Vert, cette petite île portugaise au large du Sénégal. « Je vis à Aulnay-sous-Bois », détaille-t-il, une fois arraché à sa timidité. « Je travaille dans le BTP. J’en ai pour 25 minutes de RER. Chaque matin, vers 6 h 30, je m’arrête à Châtelet. En ce moment, je travaille sur un chantier pour Nike. Je fabrique des cloisons, des doublages, des faux-plafonds. » Tous ses collègues sont portugais. D’ailleurs, « C’est grâce à un copain que j’ai entendu parler de ce travail ». Voilà dix ans qu’il travaille et réside en France, où il a fondé une famille, et il retourne rarement au Cap-Vert. En France, il ne dispose que d’un simple titre de séjour.
Sankar est assis non loin d’un Sikh, reconnaissable à son impressionnant dastar (un turban indien) couleur safran. La cinquantaine, Sankar est originaire du Sri Lanka. Sa ville, Jaffna, passe pour une destination touristique très prisée. Depuis 2002, Sankar travaille comme cuisinier dans l’entreprise Italumia, près de la Défense. Pour lui aussi, le trajet – un parcours du combattant – le fait vadrouiller de RER en bus. S’il ne souhaite pas donner son âge, Sankar sourit affablement au moment où on s’en va et lui dit au revoir. Il est 7 h 30, Fatoumata s’apprête peut-être à dormir et une foule de plus en plus dense se serre à l’intérieur de la rame impeccable du RER.