Trafic d’êtres humains : le procès des six algériens ayant drogué des mineurs isolés renvoyé au 9 janvier 2024

Ce 14 octobre, la 33e chambre du tribunal correctionnel de Paris devait accueillir le premier jour du procès de six ressortissants algériens. Les prévenus sont accusés d’avoir initié à la drogue 17 mineurs isolés dans le but de les pousser à commettre des vols. L’audience a finalement été renvoyée au 9 janvier à la suite d’un imbroglio juridique.

« Ça devait être une affaire monstre. » La 33e chambre du tribunal correctionnel de Paris était bien remplie à l’occasion de l’ouverture du procès de six ressortissants algériens accusés d’avoir drogué des mineurs non accompagnés afin de les forcer à perpétrer des vols. Si aucune des parties civiles n’était présente ce jeudi 14 octobre, 18 avocats, dont six pour la défense, et quatre interprètes ont rempli la salle pour assurer le bon déroulé d’une audience dont la tenue était impossible.

Les faits reprochés à ces Algériens se sont déroulés entre 2021 et le 13 juin 2022, dans le secteur du Trocadéro. Les prévenus âgés de 23 à 39 ans, auraient initié 17 mineurs isolés, dont le plus jeune avait 8 ans, à l’ecstasy, au Rivotril et au Lyrica, afin de les pousser à voler les touristes en échange de doses. Souvent, les jeunes pickpockets n’hésitaient pas à faire preuve de violence sur les escaliers centraux de la place.

« La bande organisée n’a pas été retenue, car le dossier est faible sur ce point, glisse l’avocate d’une victime de 14 ans. Mais on sait bien qu’il existe. » Le ministère public a finalement conservé les chefs d’accusation suivant : « recel de vol », « traite d’être humain commise à l’égard d’un mineur » et « trafic de stupéfiant et de psychotrope ». « Il y aura de la bagarre, raconte l’avocate en faisant les cent pas. Il y a des éléments bancals. » Mais rien ne va se passer comme prévu.

La crainte du bouc émissaire

La demande de remise en liberté d’Ilyes B. fait émerger un problème dans la procédure. Le prévenu le plus âgé n’a pas été renvoyé devant la justice par le juge d’instruction dans un délai de 10 jours avant la tenue du procès. La sanction tombe : le tribunal correctionnel est incompétent pour le juger. La présidente, le nez enfoncé dans ses fiches, pose la question du « renvoi de l’affaire ou de la disjonction de l’affaire », pour respecter les règles de procédures.

De son côté, le conseil d’Ilyes B. plaide pour la disjonction de l’affaire, c’est-à-dire que l’audience continue sans son client et qu’il sera jugé plus tard. « Quelqu’un a mal fait son travail. Nous étions prêts pour ce jour et mon client paie les frais. Je demande une remise en liberté puis un jugement seul de mon client à une date ultérieure. Jamais, même par miracle je serai en mesure de défendre mon client, sur quatre jours, sur le créneau proposé par le ministère public. »

De l’autre, les parties civiles s’inquiètent qu’en cas de disjonction, les cinq autres prévenus remettent la faute sur l’absent. Une possibilité soutenue par la procureure qui insiste sur les liens forts entre les prévenus qu’il faut « nécessairement faire témoigner ensemble » et insiste pour un renvoi rapide, début janvier. D’une voix, les douze avocats des parties civiles expliquent soutenir le renvoi. « Il y a consensus. Faire deux procès n’est pas opportun. » La cour se retire pour trancher.

« La décision finale guidera le futur des victimes »

Durant la suspension d’audience, l’avocate d’une victime raconte ce que ce procès peut changer pour son client. « Si la traite d’êtres humains est reconnue, la France proposera des passerelles aux mineurs qui obtiendront protections.» Elle relate également que pour les mineurs, la crainte des représailles est forte. « On leur a dit de faire confiance à ces personnes et on a profité de leurs crédulités. » S’ils sont relâchés en ville, de mauvaises fréquentations pourraient les dissuader de témoigner.

C’est après cet examen de demande de remise en liberté que la journée bascule. Sans annoncer encore le renvoi, la présidente, Marine Ramspacher, choisit de traiter les nouvelles demandes d’autres prévenus qui tombent au compte goûte. Après l’analyse du deuxième cas, la procureure intervient. « Je ne comprends pas pourquoi évoquer le parcours et les conditions de détention de chacun alors que le renvoi n’est pas prononcé. » « C’est une considération importante pour prendre une décision », lui répond spontanément la présidente. « Pourquoi s’être déjà retiré 30 minutes dans ce cas ? », preste une personne dans le public.

Cinq heures pour un renvoi : « du jamais vu »

Après l’analyse de quatre cas, la salle d’audience se transforme en moulin. Les allers-retours sont bruyants et incessants. Frappant du talon sur le sol en quittant la salle, laissant la porte claquer bruyamment à chaque passage et parfois riant aux éclats durant une traduction. Les avocats des deux côtés imposent leur impatience. La présidente, elle, ne réagit pas. Elle ne demande ni le calme ni l’accélération des débats. Cela fait désormais 3h30 que l’audience a démarré et personne ne sait encore si elle sera renvoyée. « Quand je vois le nombre de dossiers qui s’amoncelle sur mon bureau, je me dis que nous sommes en train de perdre un temps précieux », souffle l’un des avocats de l’association Hors les murs, constituée partie civile.

C’en est trop pour la procureure qui interrompt une seconde fois les échanges et interpelle à nouveau la présidente. « Je réitère. Pourquoi ne pas avoir déjà tranché ? En cas de renvoi vous serez contrainte de refaire le parcours des prévenus. Sinon on vous le reprochera. C’est une perte de temps. » « Je n’ai jamais vu cela », lâche-t-on sur le banc de la presse. Décontenancée, Marine Ramspacher choisit de suspendre à nouveau l’audience. Les indiscrétions fusent. « Quelqu’un est venu pour trouver une solution. » « En cas de renvoi, ce ne sera plus elle la présidente. » « Marine Ramspacher s’est perdue. » C’est finalement à 18h40, plus de cinq heures après le début de l’audience, que la décision de renvoyer le procès aux 9, 10, 11 et 12 janvier 2024 a été décidée.

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