Dans le cœur de Paloma vibre le Paris de Montmartre, de Piaf ou encore de Gainsbourg. Cette jeune femme de famille modeste, née autour de Sao Paulo, a pu vivre un rêve : fouler les planches d’un théâtre parisien. La suite de l’histoire n’est pas simple. Elle affronte galères sur galères, à l’image de nombreux immigrés sans papiers en France.
Tout ne s’est pas passé comme prévu pour Paloma. Cette Brésilienne originaire de Sao Paulo est arrivée à Paris il y a cinq ans déjà pour devenir actrice, des rêves plein la tête. « J’ai gagné un prix de meilleure actrice et avec cela, trois mois de cours au théâtre de l’Opprimé à Paris », raconte la jeune femme de 27 ans. Son français est aujourd’hui parfait. Pourtant, lorsqu’elle a pris son vol sans retour, elle n’en parlait pas un mot.
« Pour me faire comprendre, je parlais le portignol, un mélange de portugais et d’espagnol », confie la brésilienne, le sourire aux lèvres. De quoi stimuler sa créativité dans ce théâtre spécialisé sur la créations de pièces politiques, où les spectateurs jouent aussi avec les acteurs. Paloma secoue ses boucles brunes parfaitement définies malgré la bruine parisienne. « J’ai proposé une pièce intitulée – Le smartphone nouvelle nounou des enfants – où j’ai joué l’enfant. Ça a fonctionné à merveille ! ». Cependant, son rêve se heurte à un plafond de verre. « Je n’ai pas pu continuer le théâtre. Sans papiers, il n’y a rien à y faire, tu es empêché de faire ce que tu aimes, tu ne peux pas choisir », s’étrangle-t-elle dans un sanglot.
Paris, coûte que coûte
Malgré la déception, elle reste à Paris. « Ici, je peux gagner plus qu’au Brésil et je peux envoyer de l’argent à ma mère qui a des problèmes de santé qui coûtent très chers », explique-t-elle. Dès son arrivée, elle se démène pour trouver du travail. Elle avait simplement 300 euros en poche, pas assez pour vivre. « Au théâtre, des personnes incroyables m’ont aidée à m’en sortir, par exemple en me donnant du travail comme des tâches ménagères ou de la garde d’enfant », raconte-t-elle. Ensuite, par le bouche à oreille, elle multiplie les activités. Assistante dentaire, femme de ménage, masseuse, nounou de chiens, serveuse… Pour se faire plaisir et garder un pied dans l’univers artistique, elle est aussi modèle photo et danseuse de samba. « Le travail est ma source sociale, c’est aussi la clé pour apprendre le français », note-t-elle.
Ce travail d’arrache-pied l’épuise. Elle travaille 50 heures par semaine pour gagner entre 800 et 3000 euros par mois. « Je ne peux pas prévoir », explique-t-elle. Et des vacances ? « Une fois par an et je ne choisis pas quand », répond-elle. Sans protection par le droit du travail, elle a aussi subi des arnaques. « Une saison, je n’ai pas été payée alors que j’avais travaillé trois mois ». À ces galères s’ajoute la question du logement, déjà difficile à Paris et encore plus quand on est sans papiers. « J’ai du payer 5000 euros à l’arrivée dans mon appartement à Gare de Lyon et mon loyer coûte 150 euros de plus », explique-t-elle. La brésilienne n’est pas à l’abri de fausses annonces, comme la chambre qu’elle a loué pour ses premiers jours à Paris, la conduisant à passer trois jours à la rue. « J’ai vécu ici plus de situations dangereuses et d’agressions sexistes qu’au Brésil, qu’on considère pourtant comme un pays dangereux », raconte-t-elle, jouant avec ses bagues dorées.
Des différences culturelles majeures
Paloma tente d’entretenir la magie d’un Paris rêvé. La capitale française, pour elle, c’est le film Minuit à Paris, cette comédie romantique réalisée par Woody Allen. C’est aussi les géants de la chanson française : « Edith Piaf, Charles Aznavour, Serge Gainsbourg, Michel Jonasz… C’est l’histoire de votre pays ! ». Elle les connaît tous, bien plus que sa meilleure amie française, et déplore une amnésie culturelle chez les jeunes. « Pour retrouver la poésie de Paris, je vais me balader à Montmartre », témoigne Paloma.
La Brésilienne a besoin de l’art et de la culture comme d’une respiration. Mais là encore, les différences culturelles sont majeures. Le regard posé sur les artistes de rue est, pour cette comédienne, une déception. « Personne ne lève la tête pour les musiciens dans le métro. Au Brésil, on chante ensemble », regrette-t-elle. La différence culturelle transparaît aussi dans les lieux de fête et dans la façon de danser. Au Brésil, la funk, la samba ou encore le forro sont des danses où on se déhanche. « Certains croient que tout ce que l’on veut est d’attirer l’attention, mais ce n’est pas vrai, on veut juste danser », lâche-t-elle.
Malgré tout, elle se sent en France mieux qu’ailleurs. « C’est une histoire d’amour, ici les gens ont le sourire quand on dit qu’on est brésilien », témoigne Paloma. C’est aussi un modèle social qu’elle admire face à un Brésil plombé par des inégalités abyssales. « La carte vitale, c’est un rêve, et le système de santé, un conte de fée, j’en suis très reconnaissante », explique-t-elle. Depuis cinq ans à Paris, elle n’est revenue qu’une fois au Brésil. À cette occasion, elle est allée à la mer pour la première fois de sa vie, avec sa maman, grâce aux économies qu’elle a pu réaliser à Paris. « Ce sont des petites choses, mais ça vaut le coup d’être partie à Paris pour ça », glisse-t-elle. Aujourd’hui, elle rêve de s’installer dans le Sud de la France. Mais avant, elle aimerait rejouer au moins une fois sur des planches parisiennes.
© Fanny Breuneval